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Géopolitique - Laurent Van der Stock, photographe de guerre : « La guerre est un terrible révélateur de l’être humain » Par CELINE GIRARD

Source: Lesoir
Laurent Van Der Stock a été présent dans de nombreux conflits dont l’Irak entre 2003 et 2005,
il a capturé la réalité complexe du pays. Entretien avec un photographe à l’oeil juste.
Votre dernière exposition « In Iraq » présente des photographies réalisées entre 2003 et 2005. Quelle a été votre approche pour présenter vos clichés ?

Les photographies présentées parlent de la situation de l’entrée des troupes américaines en 2003 jusqu’en 2005, où j’ai été blessé. J’ai pris le parti de faire quatre petites séries qui dialoguent entre elles et qui parlent plus des différentes conséquences du conflit que de l’intervention américaine. Mes photographies mettent un peu à mal ou du moins posent des questions sur certaines idées reçues, et notamment sur la façon dont les protagonistes ont vécu ces évènements.

Vous avez suivi les opérations menées par les Marines. Que révèlent vos photographies sur ces hommes de combat lancés sur le sol irakien en 2003 ?

J’ai réalisé des portaits des forces des Marines, des troupes d’assaut, qui ont été utilisées entre la frontière du Koweït et Bagdad pour prendre le contrôle du pays. Cela met à mal, de façon distante comme la photo sait le faire, l’image qu’on a de ses supers soldats. Cela raconte l’inadéquation entre l’emploi de certaines forces et la vérité du terrain. Ces jeunes gens, qui ne sont pas aussi aguerris qu’on le croit, sont formés à combattre contre des armées, mais l’armée de Saddam Hussein n’a pas résisté. Cela a donné des Marines qui tiraient sur des civils.

Quelles évolutions avez-vous noté au fil et à mesure de la progression des Marines sur le sol irakien entre 2003 et 2005 ?

Les Marines ont été accueillis en héros au passage de la frontière du Koweït, mais une demi-heure après, ils décevaient déjà la population. Ils venaient libérer les gens de Saddam Hussein, mais leurs gestes pour faire tomber les statues et arracher les affiches à l’effigie de Saddam étaient malvenus. De plus, les soldats ont des techniques contre les armées, mais ils sont terrorisés devant les civils. Ils ont essayé de s’adapter. Ils ont tué beaucoup de civils par crainte, ce qui a beaucoup changé l’accueil qui leur a été fait. Ce sont aussi des jeunes qui n’ont pas eu beaucoup d’expérience. Ils doivent vraiment déconstruire l’imaginaire produit par les informations qu’ils ont reçues avant de venir. Leur attitude change avec leur évolution personnelle. L’armée américaine, la structure et la hiérarchie de l’armée, ont beaucoup changé, ils ont essayé de s’adapter, mais cela reste une armée étrangère dans un pays victime d’une situation extrêmement complexe. Toute la complexité chiite- sunnite est ancestrale et historique. C’est une erreur d’avoir démonté l’armée, d’avoir donné trop de pouvoir aux chiites dans l’armée. C’était une série en chaîne d’erreurs politiques et tactiques.

Comment décririez-vous le quotidien des civils pendant la guerre en Irak ?
A Bagdad, deux semaines après l’arrivée des Américains, il y a eu des pillages. Les habitants sunnites ne sont pas partis de la ville et sont restés cloitrés chez eux. Dans la rue, les habitants sont chiites. Mes photographies sont des portraits de gens dépressifs et angoissés. J’ai fait ces photos instinctivement, sans trop savoir comment réagir. Si les chiites ont eu énormément d’espoir dans l’arrivée des Américains, en raison de la répression, et des charniers sous le régime de Saddam Hussein, ils ont été extrêment vite déçus et inquiets. Ils ont compris, assez immédiatement, l’échec des méthodes et du résultat de l’intervention. Les Américains n’ont pas pu maîtrisé le chaos qu’ils installaient. L’état d’esprit de la population de Bagdad, immédiatement après l’entrée des Américains, laissait déjà présager de la suite. Ils se transforment en occupants même si ce n’est pas leur volonté.

Non seulement en Irak mais aussi en Roumanie, en ex-Yougoslavie, au Koweït, en Tchétchénie, vous avez été le photographe de tous les grands conflits de ces quinze dernières années. Souvent, vous avez fait le choix de revenir dans ces pays. Qu’est-ce qui vous pousse à retourner sur les lieux ?

La photographie est un média fragile et dangereux. Pour donner une image plus juste et plus intéressante, il faut chercher longtemps. En Irak, on arrivait de moins en moins à travailler par exemple. J’ai eu la «chance» d’être blessé au début de la guerre en Yougoslavie, cela m’a freiné dans une espèce de frénésie. Cela m’a fait réfléchir sur la signification de ce métier. Il est énormément étourdissant, mais au final pour produire quoi ? La Yougoslavie était pour une génération de gens une guerre «occidentale», cela ne se passait pas dans un pays exotique, c’était un peu comme chez soi. J’ai décidé, à ce moment là, de passer plus de temps et de m’investir sur la longueur dans la photographie, c’était le seul moyen possible de fabriquer et de laisser un travail honnête. Pour avoir un travail censé sur un événement, il faut y consacrer du temps.

Vous avez déclaré dans une interview : «Être confronté à la guerre, c’est d’abord rencontrer ou voir mieux les âmes, la société »…

Bien sûr, la guerre est un terrible révélateur de l’être humain, c’est un endroit où tout est extraverti et amplifié, où le courage est magnifié, où la détressse est extrême, où la lâcheté est à son apogée. C’est un amplificateur de l’existence, avec tout ce que cela a de terrible et d’extroadinaire. Le présent est extrêmement intense, cela donne une espèce d’immenses machines à radiographer l’humanité. C’est quelque chose d’ambigu et de dangereux. C’est addictif et cela peut être destructeur. C’est révélateur d’une extrême beauté et d’une extrême violence.

Biographie

Laurent Van Der Stock est né en 1964 en Belgique. Après une entrée clandestine en Roumanie, il photographie les conditions de vie sous le régime de Ceausescu, avant d’y revenir au moment de sa chute. En 1990, il rejoint l’agence Gamma. Depuis, il est le photographe de tous les conflits : Ex-Yougoslavie, Afghanistan, Tchétchénie, Guerre du Golfe, Irak en passant par l’Afrique et le Moyen-Orient. Il est blessé à plusieurs reprises, la première fois en 1991 à Vukovar où un éclat d’obus lui transperce le bras gauche, en 2001 à Ramallah, touché au genou par un sniper israélien, puis, en 2005, à Falloujah, au bras encore. Photographe d’une humanité en porte-à-faux avec elle-même, il ne s’arrête pourtant jamais au terme de «photographe de guerre» ; il témoigne des conséquences du cyclone «Katrina», réalise des portraites des jeunes des banlieues de Bastia pour le Fonds national d’art contemporain, rend compte du flou politique, suite au départ d’Aristide à Haïti. Son travail a été récompensé par de nombreux prix : Award d’Excellence Prix de Journalisme de l’Université de Columbia en 1991, Prix Paris Match en 1996, Prix Bayeux des correspondants de guerre en 1995 et Prix du Festival du Scoop d’Angers à quatre reprises entre 1991 et 1996.