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BIOETHIQUE - Les cellules souches par Denis SERGENT et Claire LESEGRETAIN

Source: La-croix.com

La grande diversité des cellules souches

A l’aube de la révision de la loi de bioéthique de 2004 et au moment où, aux États-Unis, débute un nouvel essai clinique, la question des capacités des différents types de cellules souches revient au premier plan

Avec la révision de la loi de bioéthique 2004, qui doit absolument intervenir avant le 5 février 2011, date limite d’autorisation par l’Agence de la biomédecine des dérogations pour la recherche sur l’embryon, le débat sur les cellules souches va prendre de l’ampleur dans les semaines à venir. L’occasion de faire le point sur les différentes familles de cellules souches, leurs potentialités pour la recherche, leurs utilisations cliniques, les questions éthiques qu’elles soulèvent.

Les cellules souches adultes

Elles existent dans la plupart des tissus de l’organisme où elles assurent un renouvellement des cellules qui meurent. Elles sont capables de se reproduire, de se multiplier, théoriquement à l’infini. C’est pourquoi on parle parfois de cellules immortelles. « Malheureusement, elles sont incluses en très petit nombre dans les tissus et y occupent une place si discrète que leur existence est longtemps passée inaperçue », expliquait Nicole Le Douarin, professeur de biologie du développement au Collège de France, dans Les Cellules souches, porteuses d’immortalité (Odile Jacob, 2007).

De plus, elles sont loin de présenter la pluripotence (NDLR : la capacité à engendrer chacun des 200 types cellulaires, comme des cellules sanguines, musculaires, nerveuses, hépatiques…) des cellules souches issues de l’embryon et ne fournissent, en principe, que les types cellulaires des tissus dans lesquels elles se trouvent », poursuivait-elle, prudente.

Les plus anciennement connues, les cellules souches hématopoïétiques, ont été découvertes à la fin des années 1950 dans la moelle osseuse. Puis, plus tard, dans le sang de cordon ombilical. Théoriquement, elles ne donnent naissance qu’aux deux grandes lignées de cellules de la moelle : les globules rouges et les globules blancs. En 1988 a été réussie la première greffe de cellules souches de cordon par Éliane Gluckman, hématologiste (Inserm-hôpital Saint-Louis). Depuis, ce sont près de 20 000 greffes de sang de cordon qui ont été réalisées dans le monde.

Aujourd’hui, on connaît mieux les cellules souches adultes, qu’on a découvert dans d’autres tissus, comme le tissu nerveux. Pas plus tard qu’il y a une semaine, une équipe de chercheurs emmenés par Louis Casteilla (CNRS-université de Toulouse) a mis en évidence, dans le tissu adipeux, des cellules souches capables de donner des cellules immunitaires.

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Surtout, au laboratoire, on est capable de modifier leur différenciation en ajoutant des ingrédients adéquats à leur milieu de culture. Ainsi des cellules neuronales peuvent-elles être aiguillées pour donner des cellules gliales (cellules nourrices des neurones) ou des cellules musculaires lisses.

Certaines cellules souches des tissus adultes peuvent donc avoir des propriétés voisines des cellules embryonnaires humaines. On parle alors de cellules multi ou pluripotentes. « Avec les cellules souches de la moelle osseuse et du cordon ombilical, on peut traiter 85 maladies, essentiellement du sang », indique Éliane Gluckman.

« En 2009, pas moins de 18 essais cliniques (phases I et II principalement) ont été conduits à partir de cellules souches de cordon ombilical, pour des indications thérapeutiques comme la sclérose systémique, le diabète, le cancer du sein, l’ostéoporose, indique Grégory Katz, professeur à la chaire Innovation thérapeutique de l’Essec. En France, chaque jour un patient est greffé avec ces cellules souches », poursuit de directeur de la Fondation générale de santé.

Les cellules souches embryonnaires (ES)

Issues d’embryons humains, ces cellules indifférenciées possèdent encore toutes les potentialités de différenciation de l’œuf lui-même et peuvent donner naissance à tous les types cellulaires qui constituent un organisme humain. Soit environ 200 types cellulaires. On dit qu’elles sont totipotentes. Côté avantages pour les chercheurs, elles sont nombreuses, accessibles, facilement cultivables et les plus capables de se différencier.

Inconvénient : elles ont une certaine propension à se transformer en cellules tumorales (tératome). Et, sur le plan éthique, elles nécessitent la destruction d’un embryon. Selon la loi française, ces cellules proviennent d’embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental.

En théorie, les cellules souches embryonnaires ont donc des capacités thérapeutiques. « Réparer, remplacer, régénérer des tissus ou des organes malades, les cellules souches pourraient remédier à la destruction ou au dysfonctionnement d’organes comme la lésion de la moelle épinière, la dégénérescence rétinienne ou l’infarctus du myocarde », ont expliqué Philippe Menasché, chirurgien à l’hôpital Georges-Pompidou, et Marc Peschanski, biologiste au laboratoire I-Stem (Inserm-AFM) à Évry, plaidant pour un assouplissement de la loi de bioéthique de 2004, lors d’une récente réunion organisée par les groupes pharmaceutiques français rassemblés au sein des Entreprises du médicament (Leem).

En France, dans le cadre de la dérogation, plusieurs essais cliniques de phase I (évaluation de l’innocuité et de la tolérance des cellules greffées) se préparent. Ainsi, à Évry et Paris, ce sont Michel Pucéat et Philippe Menasché qui viennent de demander à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) l’autorisation de réaliser un essai pour traiter les conséquences d’un infarctus du myocarde à l’aide de cellules souches embryonnaires appelées cardiomyocytes.

Entre les chercheurs d’Évry et Nantes, les cliniciens de Tenon et Trousseau, et toujours l’Afssaps, se discute actuellement un essai clinique visant à remédier aux complications cutanées de la drépanocytose au moyen d’une greffe de cellules souches de peau.

À l’étranger, c’est aux États-Unis que les choses bougent le plus. En octobre dernier, la société de biotechnologie Geron a commencé un essai clinique de phase I chez une personne paralysée à la suite d’une lésion de la moelle épinière. Au-delà de l’annonce qui a pour effet de faire grimper la cote de la société en Bourse, cet essai est le premier et a été autorisé par l’Agence américaine du médicament (FDA) dès 2009.

La semaine dernière enfin, le feu vert a été donné à un essai clinique de phase I avec des dérivés de cellules souches embryonnaires humaines, afin, cette fois, de traiter une maladie infantile héréditaire et irréversible de la rétine de l’œil, la maladie de Stargardt. Cette autorisation de la FDA permet à la société Advanced Cell Technology de commencer un essai clinique sur 12 enfants.

Les cellules souches pluripotentes induites (cellules iPS)

C’est aussi avec surprise que ce nouveau type de cellules a été découvert, d’abord en 2006 par James Thompson (université du Wisconsin) chez la souris, puis en 2007 par lui-même et Shinya Yamanaka (université de Kyoto) chez l’homme. Tous deux ont alors réussi à transformer des cellules souches adultes – donc théoriquement spécialisées – en cellules quasi embryonnaires appelées pluripotentes. Une véritable remise à zéro.

En d’autres termes, ils ont réussi à reprogrammer des cellules de peau en y introduisant quatre gènes. Avantage : ces cellules sont pluripotentes et n’entraînent pas de destruction d’embryon. Inconvénient : l’un des gènes risque de déclencher un cancer.

Les chercheurs y ont déjà trouvé une parade, mais d’autres problèmes d’ordre génétique restent à résoudre. Selon Yamanaka lui-même, les cellules iPS servent actuellement à tester l’éventuelle toxicité des futurs médicaments humains, mais leur usage thérapeutique est pour plus tard.

Le passage aux essais cliniques chez l’homme n’est donc pas encore pour demain. Selon Grégory Katz, « les chercheurs en médecine régénérative sont intéressés pour appliquer la technique iPS, la reprogrammation, aux cellules souches du cordon ombilical, par ailleurs plus plastiques que les cellules souches adultes et moins tumorigènes que les cellules embryonnaires ».

Au terme de ce tour d’horizon, on perçoit combien la situation, rien que sur un plan strictement biologique, est compliquée. D’un côté, les cellules souches adultes auxquelles très peu de biologistes et médecins croyaient il y a encore dix ans s’avèrent être efficaces pour traiter plusieurs maladies. De l’autre, les cellules souches embryonnaires qui, après les promesses non tenues du clonage thérapeutique, reviennent en force avec les deux autorisations d’essais cliniques aux États-Unis.

Entre les deux, les cellules souches pluripotentes induites, trop récentes pour que l’on puisse trancher. C’est dans ce contexte que, lors d’une récente visite du laboratoire de Philippe Ménasché, la ministre Valérie Pécresse a réitéré la volonté du gouvernement de prolonger le principe actuel d’interdiction-dérogation pour ce qui concerne les cellules souches embryonnaires.
Denis SERGENT et Claire LESEGRETAIN